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         Jonc vert et jaune, léger et extrêmement flexible, le totora (nom scientifique : Scirpus totora) pousse dans les sols fangeux des bords du TITICACA. Haut de 4 à 5 mètres, il croît de 1,5 à 2,5 mètres par an et se récolte, par coupe, tous les 6 mois. En dehors de la vannerie courante, il est employé pour fabriquer des toits de maisons et parfois des maisons complètes. Il se trouve même, dans la partie péruvienne du lac, des îles entières faites de totoras reposant sur des troncs d’eucalyptus immergés. Les indiens Uro qui y vivent remplacent constamment les vieux joncs putréfiés par des joncs fraîchement coupés afin de sauvegarder leur habitat. Si la base du totora est comestible par l’homme, le jonc entier sert aussi d’alimentation primaire pour le bétail.

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         Mais le plus original, le plus surprenant, réside dans le fait que les indiens Uro et Aymara l’utilisent depuis des siècles pour la construction de leurs yampu (embarcations, en langue aymara) destinées à la pêche, au transport et au travail quotidien.

         Paulino ESTEBAN CACASACA est un maître-architecte naval qui a su recevoir, préserver et transmettre les secrets du savoir-faire ancien des premiers constructeurs de ces bateaux uniques au monde. Héritier d’une longue tradition, il en conçoit et construit sans relâche depuis l’âge de 12 ans. Aujourd’hui sexagénaire avancé, il vit et travaille à HUATAJATA (au sud-est du lac) et surtout sur l’île SURIQUI, considérée comme le berceau des grands constructeurs de bateaux en totora.

         Actuellement, trois générations d’ESTEBAN savent transformer comme par magie les gerbes de joncs en bateaux : Paulino lui-même, ses fils Fermin et Porfirio, et son petit-fils Richard, sans oublier son gendre Braulio. Au total, seules 3 à 4 familles boliviennes, pas plus, perpétuent encore cette tradition ancestrale sur le TITICACA.

         Il faut voir l’enthousiasme juvénile et la force créatrice qui continuent d’animer sur ses chantiers cet indien Aymara (ethnie majoritaire en BOLIVIE avec les Quechua) aux traits si expressifs, comme sculptés avec patience par d’infinis sillons tracés par le temps. Car son visage est une histoire à lui tout seul, et nous pouvons y lire, comme des reflets dans l’eau du lac, sa vie, son métier, son pays, ses ancêtres.

         Cet enthousiame et cette force lui permettent de ne pas être avare d’explications ; il nous détaille ainsi volontiers, en toute simplicité, les grands principes de préparation et de construction de ses bateaux, si originaux pour nos regards d’Occidentaux. Tout d’abord, les joncs coupés doivent être laissés au séchage complet pendant 8 à 15 jours.

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         Puis, selon la taille du bateau final, ils sont regroupés en gerbes ou faisceaux plus ou moins gros ficelés par le cordage naturel d’une herbe sèche appelée ichu. Ces faisceaux permettent de composer pour chaque embarcation, quelles que soient ses dimensions, deux coques parallèles qui sont liées entre elles au milieu du bateau. Enfin, un « boudin » latéral surplombant chaque coque vient assurer stabilité et sécurité aux navigants. La voile trapézoïdale est également faite de totoras ; seul le mât est de bois. L’ensemble reste étanche de 6 à 8 mois et peut notamment résister aux assauts des houles et vents violents de l’Altiplano.

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         Mais pas seulement de l’Altiplano.

         En effet, la réputation du savoir-faire de Paulino ESTEBAN et la viabilité de ses bateaux ont largement dépassé les limites du lac TITICACA. Ce n’est d’ailleurs pas sans fierté qu’il nous raconte dans sa cabane-musée, coupures de presse à l’appui, ses nombreuses et diverses participations actives à des missions-expéditions de recherche archéologique et/ou anthropologique. Quelques-unes visaient à démontrer notamment que les civilisations du monde antique avaient pu avec audace, ingéniosité et les moyens matériels dont elles disposaient, mener à bien des périples transocéaniques ; d’où une possible remise en cause fondamentale de l’Histoire des peuplements humains par voies migratoires maritimes.

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